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Séminaire Le Cadavre en Représentation
09/05/2022 /15h00 - 17h00
Usages du cadavre représenté
- Daria Sinichkina (Sorbonne Université)
« Tous les poètes assassinés iront au paradis » : Le cadavre comme pièce à conviction littéraire (à partir du cas de Sergej Esenin).
Le corps de l’écrivain fait l’objet, semble-t-il, depuis le début de l’histoire de la littérature russe moderne, d’une fascination toute particulière : alors que le Poète occupe une place hautement symbolique dans l’économie du champ littéraire réformé au début du XVIIIe siècle, la charge symbolique de sa fonction ne faisant qu’augmenter au cours des décennies, la place dévolue à son corps est paradoxale. Si Trediakovskij est passé à tabac, et que la bastonnade que lui inflige Artemij Volynskij est d’une violence proportionnelle à la déconsidération dont fait l’objet sa poésie, la pendaison de Ryleev en 1826 ou encore la mort violente de Griboedov en 1829 sont autrement traumatisantes pour la communauté littéraire (on se souvient de la description que fait Puškin du cercueil de l’écrivain dans son Voyage à Arzroum). Quant à la mort de Puškin et au traitement réservé à son corps souffrant, puis à sa dépouille, et enfin aux objets que cette dépouille touche (le « divan de Puškin »), elle semble cristalliser les enjeux associés à la fois au corps et à la mort de l’écrivain dans la culture russe, a fortiori la culture littéraire. Objet de fascination, objet révéré, le corps du poète est aussi nié dans son humanité et le poète assimilé à un saint dont on conserve les reliques après sa mort. Au bout de ce processus, paradoxal, de désincarnation, le corps du poète peut aller jusqu’à devenir la pierre de touche d’un mythe littéraire construit par la réception, la « pièce à conviction », au même titre qu’un porte-plume ou un carnet manuscrit, de l’appartenance du poète à une tradition particulière, celle du « poète assassiné ». Notre communication s’attachera à détailler quelques-uns des mécanismes à l’œuvre de ce processus à partir du cas de Sergej Esenin, dont la dépouille, photographiée par Moisej Nappelbaum quelques heures après le suicide du poète en décembre 1925, est encore aujourd’hui, pour une partie des lecteurs du poète, un objet de violentes polémiques aux enjeux qui dépassent parfois le « fait littéraire » stricto sensu.
- Bella Ostromoukhova (Sorbonne Université)
Jusqu’où peut-on aller ? La représentation de la mort et des cadavres dans la littérature jeunesse russe d’aujourd’hui : circulations, tendances et limites
Dans notre présentation, nous nous pencherons sur les représentations de la mort dans la littérature jeunesse contemporaine, et plus précisément les injonctions et les limites du dicible qui se profilent à travers ce sujet réputé « difficile ».
La littérature jeunesse russe, à l’instar de ses analogues étrangers, s’est ouverte, depuis les années 2000, à plusieurs sujets auparavant tabous. A l’inverse, la mort, qui auparavant avait toute sa place dans les livres pour enfant, devient un sujet plutôt problématique. Au XVIIIe-début XIX, lorsque la littérature jeunesse avait une visée avant tout éducative et moralisante, la mort pouvait apparaître comme punition fréquente pour un méfait. Elle devient un sujet politique à l’époque soviétique, la mort héroïque d’un enfant étant appelée à enseigner le sacrifice de soi. Ces deux facettes deviennent intolérables dans la littérature jeunesse d’aujourd’hui qui ne parle quasiment plus jamais de la mort enfantine1.
Nous présenterons le cadre légal dans lequel se situent les représentations de la mort dans la littérature jeunesse d’aujourd’hui, avec, notamment, les lois sur « les informations nuisibles à la santé des enfants » (2021) et « la propagande de suicide » (2017) et les modalités de leur interprétation et leur mise en application. Nous étudierons ensuite quelques exemples où le corps mort est présent dans la littérature jeunesse contemporaine, en explorant les possibilités et les impossibilités de ces représentations à travers les entretiens avec les éditeurs et les débats en ligne que ces représentations ont pu susciter.
1 « Ot redakcii », dans Detskie Čteniâ №17-1 (2020), Tabu v detskoj literature, p. 7.
Modération : Hélène Mélat (Sorbonne Université)
La séance se dérouleraen hybride et sur zoom :
https://us02web.zoom.us/j/85162205488?pwd=QlRsR01FS095SHo5Zk5mS2V4TytQZz09
ID de réunion : 851 6220 5488
Code secret : 0UA91c