Cet axe de recherche ouvre un champ de réflexion sur l’émancipation des femmes en Europe centrale et balkanique. Vagues migratoires, guerres, révolutions ou changements de régimes sociopolitiques ont donné l’élan à des chocs émancipatoires successifs, qu’ils aient été réclamés, imposés, voire désavoués par ceux auxquels ils prétendaient bénéficier ou par ceux qu’ils auraient lésés. C’est autour des conditions féminines que notre questionnement portera, en prenant en compte les aspects juridiques, socioéconomiques et culturels qui ont sous-tendu ces paroxysmes d’émancipation dans les discours et dans les pratiques.
Au XIXe siècle, si les femmes avaient pu occuper, même de façon sporadique, des rôles politiques cruciaux (insurrections et révolutions, mouvements politiques), bouleversaient-elles pour autant un espace public dominé par les hommes ? Pourtant, la « crise de la masculinité » (G. Mosse) du tournant de siècle constituait bien une réponse à la lutte pour l’autonomie socioéconomique encore mal acquise par les femmes. La Première Guerre mondiale fut sans doute un tournant alors que, restées à l’arrière, les femmes entrèrent de façon massive sur le marché du travail pour compenser l’absence des hommes.
Si la période contemporaine est marquée par un « retour de bâton » antiféministe (législation anti-IVG en Pologne, bannissement des études de genre en Hongrie, etc.), c’était pourtant à l’est du Rhin que la cause des femmes avait progressé le plus rapidement au XXe siècle : le droit de vote (dès 1918 en Europe centrale, seulement en 1945 en Yougoslavie) et la légalisation de l’IVG (initiée dès 1952 par la Yougoslavie, suivie par la plupart des pays du bloc soviétique dans les années 1950) ont été acquis par les femmes de la région avant celles de l’Europe occidentale.
Ces décalages et paradoxes invitent à interroger tant les structures historiques spécifiques de la région que les pratiques concrètes de ces lois émancipatoires. Il s’agira d’analyser les reconfigurations des rôles normatifs entourant les conditions féminines, les renégociations et les acclimatations opérées par les actrices elles-mêmes (et leurs contreparties masculines) et les expressions plurielles de la cause féminine. Ainsi nous entrerons en dialogue avec Brigitte Spreitzer (1999) ou Agatha Schwarz et Helga Thornston (2017), qui invitaient à réviser les canons littéraires afin de rééquilibrer les his-stories dominantes par des her-stories de la modernisation. Il s’agira de naviguer les eaux de la modernisation en évitant les écueils du fémo- et de l’homonationalisme (Chamouleau et Farges, 2019).
Un programme porté par le CIRCE en partenariat avec le CEFRES (Prague), l’Université Charles et l’Université de Varsovie.