Sophie CŒURÉ
“Are we cowards?” The Issue of Human Rights and Freedom in Franco-Soviet Relations Under the Presidency of Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)
This article explores the relationship between government action and transnational grassroot activism in support of Jewish “refuseniks” who were denied exit visas, and of Soviet “dissidents,” in the context of Franco-Soviet relations under Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) and Leonid Brezhnev. The French position of cooperation and “non-interference” on the issue of human rights appeared to contradict the strong domestic politicization of the issue of freedom and rights in Soviet Union. However, Soviet archives reveal that Moscow was becoming increasingly worried about the media and political coverage of dissidence in France, and that the USSR was mobilizing its means of influence to fight it. While the issue of dissidence was more a matter for CSCE negotiations and transnational mobilization than for bilateral relations, French diplomacy implemented « humanitarian » actions and discreet interventions to help Soviet dissidents and refuseniks.
« Sommes-nous lâches ? » La question des droits de l’homme et des libertés dans les relations franco-soviétiques pendant la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)
Cet article questionne les relations entre l’action des gouvernements et les mobilisations transnationales par le bas pour les « refuzniks » juifs privés de visa de sortie et pour les « dissidents » soviétiques, dans le cas des relations entre la France de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) et l’URSS de Leonid Brežnev. La position française de coopération et de « non-ingérence » sur la question des droits de l’homme semblait en dissonance avec la forte politisation intérieure de la question des libertés etdesdroitsenUnionsoviétique.Lesarchives soviétiques révèlent cependant une inquiétude croissante de Moscou face à l’actualité médiatique et politique de la dissidence en France, et la mobilisation des ressources d’influence de l’URSS. Si la question des dissidences resta davantage du domaine des négociations de la CSCE et des mobilisations transnationales que des relations bilatérales, la diplomatie française mit en œuvre des actions « humanitaires » et des interventions discrètes en appui aux dissidents et aux refuzniks soviétiques.
Sylvain DUFRAISSE
It is customary to invoke the notion of “sports diplomacy” and to essentialise the role of states in international sports relations, although these relations are mainly managed by private organisations. Based on the archives of the Soviet embassy in Paris, held by the Russian Ministry of Foreign Affairs, this article aims at highlighting the role that an embassy could play in expanding sports exchanges. The article analyzes the role played by the Soviet embassy in Paris by putting leisure and physical activities on the international policy agenda in Franco-Soviet relations.
Construire la collaboration sportive franco-soviétique : le rôle de l’ambassade d’URSS à Paris (années 1950-années 1980)
Il est d’usage d’invoquer la notion de « diplomatie sportive » et d’essentialiser le rôle des États dans les relations internationales sportives, dont une des spécificités est d’être principalement gérées par des organisations privées. À partir des archives de l’ambassade d’URSS à Paris, conservées aux archives du ministère des Affaires étrangères russes, cet article se propose de mettre en évidence le rôle d’interface que peuvent jouer les ambassades dans la construction des échanges sportifs internationaux et dans la mise à l’agenda des activités physiques de loisirs et de performances comme objet de politique internationale dans les relations franco-soviétiques.
Dimitri FILIMONOV
Musical Exchanges Between France and the USSR: 1950-1980
From the mid-1950s onwards, the Soviets became increasingly interested in French musical production. Reproduced often illegally in terms of copyright restrictions, French music achieved unprecedented success and inspired several Soviet artists to produce successful remakes. Carefully selected by the ideological authorities, some French songs pictured Franco-Soviet ties, while others introduced echoes of American music to the Soviet scene. This article sets out to analyse the different ways in which French music was introduced into the Soviet Union, the ways in which it was appropriated by the Soviet cultural field and the political issues triggered by these contacts. The study is based on a large corpus of sources: from the archives of the artistic agencies responsible for organising tours of French artists in the USSR, to the SACEM archives concerning copyright on French works reproduced in the Soviet Union, including a number of private sources presenting testimonies from Soviet people about their perception of French music.
Circulations musicales entre la France et l’URSS 1950-1980
À partir du milieu des années 1950, l’intérêt des Soviétiques pour la musique française ne cesse de croître. Reproduite souvent de façon illégale au vu des droits d’auteur, elle obtient un succès inégalé et inspire plusieurs artistes soviétiques qui en font des adaptations à succès. Soigneusement sélectionnées par les instances idéologiques, certaines chansons françaises évoquent les liens franco-soviétiques, d’autres permettent d’introduire un écho de la musique américaine sur la scène soviétique. Cet article s’attache à analyser les différentes voies de diffusion de la musique française en Union soviétique, leurs modes d’appropriation par le champ culturel soviétique et les enjeux politiques de ces contacts. L’étude s’appuie sur un large corpus de sources : les archives des agences artistiques responsables de l’organisation des tournées des artistes français en URSS, les archives de la SACEM concernant les droits d’auteur sur les œuvres françaises reproduites en Union soviétique, mais aussi un nombre de sources privées présentant des témoignages des Soviétiques au sujet de leur perception de la musique française.
David FOGLESONG
The politics of recognition: ukrainian struggles for support by the United States, 1917-1941
This article will analyze how Ukrainians and Ukrainian-Americans sought diplomatic recognition of Ukraine by the United States between 1917 and 1941. It will explain why the U.S. government, despite its commitments to the principle of self-determination, did not recognize Ukrainian independence and why it extended diplomatic recognition to the Soviet Union in 1933 despite protests by Ukrainian- Americans about the terrible famine of 1932- 1933. Drawing on new research in the unu- tilized or underutilized papers of leading Ukrainian-Americans, the article will discuss their tactics and examine their impact on both the press and U.S. government officials.
La politique de la reconnaissance : mobilisations ukrainiennes pour obtenir le soutien des États-Unis, 1917-1941
Cet article analyse la manière dont les Ukrainiens et les Américano-ukrainiens ont cherché à obtenir la reconnaissance diplomatique de l’Ukraine par les États-Unis entre 1917 et 1941. Il explique pourquoi le gouvernement américain, malgré ses engagements en faveur du principe d’autodétermination, n’a pas reconnu l’indépendance de l’Ukraine et pourquoi il a accordé la reconnaissance diplomatique à l’Union soviétique en 1933, malgré les protestations des Américano-ukrainiens relatives à la terrible famine de 1932-1933. S’appuyant sur des documents inutilisés ou sous-utilisés d’Américano-ukrainiens, l’article examine leurs tactiques et leur influence sur la presse et les représentants du gouvernement américain.
Pierre GONNEAU, Ecatherina RAI-GONNEAU
The Expulsions of Soviet Citizens from France in 1947: A Franco-Soviet Incident
This article deals with the expulsion by French authorities, on 25th November 1947, of 24 Russian refugees who had accepted the offer of Soviet citizenship extended by the Supreme Soviet decree of 16th June 1946. These individuals were charged with “interfering with French affairs,” then arrested in the French towns where they lived, and handed over to Soviet occupation authorities in occupied Germany. All were members of the “Union of Soviet Citizens,” an association which was then banned, on charges of pro-Soviet propaganda and on suspicion of collaborating with the NKVD. Based on materials from French central and local archives, we describe the association’s foundation and its functions, reconstruct the measures taken by the French to keep its members under surveillance before the expulsion, and analyze the administrative logic of this expulsion, which was followed by others in the 1950s.
Les expulsions de 1947 : une brouille franco-soviétique
Cet article est consacré à l’expulsion par la France, le 25 novembre 1947, de 24 réfugiés russes ayant pris la nationalité soviétique à la suite du décret du Soviet Suprême du 16 juin 1946. Toutes ces personnes, accusées d’« ingérence dans les affaires de la France », arrêtées dans diverses villes françaises et remises aux autorités soviétiques d’occupation en Allemagne, étaient membres d’une association, l’« Union des Citoyens Soviétiques », soupçonnée de se livrer à la propagande pro-soviétique, voire de collaborer avec le NKVD, et donc interdite de fonctionner. Se fondant sur les archives françaises, centrales et locales, l’article s’intéresse plus particulièrement à cette association, sa création, son fonctionnement, la surveillance dont elle fait l’objet et à la logique administrative des autorités françaises dans cette expulsion qui est suivie d’autres dans les années cinquante.
Stanislas JEANNESSON
On September 17th, 1934, the USSR was admitted into the League of Nations, in a European context dominated by the effects of the economic crisis and the rise of Nazi Germany. It thus truly entered the international system, 15 years after having been excluded at the Paris Peace Conference. Drawing on research findings and the archives of the Quai d’Orsay, our objective is is to examine the role of France in the admission of the USSR into the League of Nations. We explore the details of the negotiations and the efforts made by the French authorities, in order to reassess the place granted to this issue by the French diplomacy in its wider security policy, and establish whether it saw it as a simple precondition for the Eastern Pact – or even a possible Franco-Soviet alliance – or as a genuine, independent objective.
La France et l’entrée de l’URSS à la Société des Nations
Le 17 septembre 1934, l’URSS est admise à la Société des nations, dans un contexte européen dominé par les effets de la crise économique et la montée en puissance de l’Allemagne nazie. Elle entre ainsi véritablement dans le système international, 15 ans après en avoir été exclue lors de la conférence de la Paix. En nous appuyant sur les acquis de la recherche et les archives du Quai d’Orsay, notre objectif est de traiter du rôle de la France dans l’admission de l’URSS à la Société des nations, en entrant dans le détail des négociations et des efforts prodigués, pour réévaluer la place que la diplomatie française accordait à la question dans sa politique globale de sécurité : simple condition préalable au pacte oriental – voire à une alliance franco-soviétique – ou véritable objectif en soi ?
Andreï KOZOVOÏ
“We talk business”: When Leonid Brezhnev Met Armand Hammer
Leonid Brezhnev, general secretary of the Soviet Union in 1964-1982, was always careful to seek advice from experts on questions pertaining to foreign policy, an area he never was a specialist in, but where he managed to obtain important results, at least until his age and health caught with him. His “détente” policy started with France, was pursued with Germany, before bringing impressive results with the United States. Brezhnev’s seven meetings, during the years 1973-1981, with (in)famous American businessman Armand Hammer, a frequent feature of Soviet propaganda in those days, are a valuable source to understand how this policy was elaborated behind the scenes. They offer a rare testimony to Brezhnev’s genuine attempts to understand the American political system and predict its evolution, and his struggle with questions pertaining to political legitimacy. They also help us assess the failure of the détente policy as well as the degradation of the Soviet decision-making process as a whole.
« Nous parlons affaires » quand Leonid Brežnev rencontre Armand Hammer
Leonid Brežnev, secrétaire général du PCUS (1964-1982) a toujours été attentif à prendre l’avis de personnalités extérieures pour les questions de politique étrangère – domaine dans lequel il n’a, de prime abord et de son propre aveu, jamais été expert, mais qu’il va pourtant marquer de son empreinte en façonnant la politique de « détente », d’abord avec la France, puis l’Allemagne, et surtout les États-Unis.Les sept entretiens de Brežnev avec Armand Hammer (1898-1990), célèbre homme d’affaires américain surtout connu pour avoir rencontré Lenin, donnent un aperçu de l’architecture de la « détente » et les tentatives pour la sauver ; ils dévoilent aussi un Brežnev méconnu, ses idées en matière de politique étrangère, mais aussi, plus largement, sa vision du monde. Ils témoignent également du déclin du brežnevisme en tant que système politique. L’article s’appuie sur un corpus d’archives du RGANI (Moscou).
Sophie MOMZIKOFF
The expertise of the Quai d’Orsay Analysis and Forecasting Center (1989-1992)
This contribution questions the possibility of a “cultural demobilization” within French political and strategic circles vis-à-vis the Soviet Union, between 1989 and 1992. How did these circles evaluate the future of relations between France and the Soviet Union? Was the USSR considered as a threat or as a potential ally? This article is based on the archives of the Analysis and forecasting center of the French minister of foreign relations and on documents from the French Embassy in Moscow.
Décrypter la chute de l’URSS et l’émergence de la nouvelle Russie.
L’expertise du centre d’analyse et de prévision du Quai d’Orsay (1989-1992)
Cette contribution interroge l’éventualité d’une « démobilisation culturelle » au sein des cercles politiques et stratégiques français vis à vis de l’Union soviétique, entre 1989 et 1992. Comment lit-on alors l’avenir des relations entre la France et l’URSS ? L’Union soviétique est-elle perçue comme un allié potentiel au sein d’un nouveau système européen ? Ou alors est-elle toujours considérée comme une menace potentielle ? Cet article s’appuie sur les archives du Quai d’Orsay, plus particulièrement sur celles de son centre d’analyse et de prévision et sur les documents de l’Ambassade de France à Moscou.
This article examines the internationalisation of the Stalinist propaganda campaigns that accompanied the Soviet “show” trials in France, at a time when bilateral relations were in deep crisis and Soviet justice was coming under increasing criticism. Avoiding the pitfalls of the diffusionist paradigm, the article shows that the transnational mobilisations to legitimise these Stalinist trials were initially defensive in nature and were gradually built up in reaction to the harsh criticism of the trials by various European actors. The positions taken did not, however, lead to a genuine debate on the “show” trials: instead, watertight parallel discourses were established, leaving little room for discussion of the deep-seated disagreements. The cracks between these competing discourses, for their part, concealed any questioning of the social roots of nascent Stalinism and the specificity of Stalinist repressive practices.
Une politique d’influence stalinienne sur la défensive. Le cas de la France, ou comment légitimer les procès « pour l’exemple » (1928-1933)
Cet article interroge l’internationalisation des campagnes staliniennes de propagande autour des procès soviétiques « pour l’exemple » sur le terrain français, au moment même où les relations bilatérales traversent une crise profonde et où la justice soviétique fait l’objet de critiques croissantes. Évitant les écueils du paradigme diffusionniste, il montre que les mobilisations transnationales légitimant ces procès sont de nature défensive et se construisent progressivement en réaction à leur mise en cause frontale par différents acteurs européens. Les prises de positions ne débouchent pas, pourtant, sur un véritable débat concernant les procès « pour l’exemple » : se mettent en place plutôt des discours étanches laissant peu de place à une discussion sur des désaccords pourtant profonds. Les fissures entre ces discours concurrentiels referment, quant à elles, tout questionnement sur les ancrages sociaux du stalinisme naissant et la spécificité des pratiques répressives staliniennes.