Tatiana BOTTINEAU, Daria KHOLODOVA

Uže as Adverb of Time and Enunciative Particle
The present article is devoted to the use of uže. It aims at describing the functioning and semantic variation of this poly-categorical unit, defined in dictionaries both as an adverb of time and as an intensifying particle. As an adverb, uže ensures the localization on the spatio-temporal axis of the term it refers to; as a particle, it makes the content of its scope salient. These two operating modes of uže are complementary and find their origins in etymology. The purpose of this article is to demonstrate that the semantic variation of uže follows regular principles based on the expression of opposing points of view on the world. Depending on which of the constituting components of uže – u or že – receives greater weight, the opposition of points of view varies in nature and stresses either the localization of a value or its mere existence. Regardless of the type of opposition actualized by uže, its very construction attests to the discursive nature of the studied linguistic unit.

Uže, adverbe de temps et particule énonciative russe
Consacré à l’emploi de uže, l’article vise à décrire le fonctionnement et la variation sémantique de cette unité polycatégorielle définie dans les ouvrages comme adverbe de temps et comme particule de renforcement. En tant qu’adverbe, uže assure la localisation sur l’axe spatio-temporel du terme auquel il se rapporte ; en tant que particule, il rend saillant le contenu de sa portée. Ces deux modes opératoires de uže sont complémentaires et trouvent leurs origines dans l’étymologie. L’article cherche à démontrer la régularité de la variation sémantique de uže dont les fondements résident dans la mise en place d’une altérité de points de vue sur le monde. En fonction de la pondération sur l’un ou l’autre de ses composants constitutifs u ou že, l’altérité construite par uže varie de nature et porte soit sur la localisation de la valeur, soit sur son existence même. Quelle que soit l’altérité mise en place par uže, sa construction atteste de la vocation discursive de cette unité de langue.


Rémis CAMUS

Singularity and Variations of the -k Suffix: Derivatives in Contemporary Russian
The contemporary Russian suffix derivatives in –k– are discussed here in the light of one of their main characteristics: in Russian, suffixation operates with three constituents. These three constituents are : a) the inflection, b) the suffixation itsel, and c) a stem which may be simple (strel-k-a “arrow”) or compound (pere-strel-k-a « shoot-out »). These constituents can develop three modes of combination, a process detailed here on the basis of the analysis of the properties, forms and interpretations of the derivatives in -k-. What is common to all the derivatives studied here is an operation described as a nomination. The present analysis is part of a series of ongoing publications which aim to reframe the morpheme –k– in the dynamics of a micro-system exploiting vowel and consonantal alternations, such as full vowel variants (-ik– in stol-ik « table », -ak- in ryb-ak « fisherman », –uk– in злю-к-а « meanie »), -c- variant (pev-ec « singer »),-ic– variant (pev-ic-a « singer, fem. »).


Oleg CHINKAROUK

Using the Ukrainian Past Perfect to Describe Contrasted Situations

This article aims to study the use of the Past perfect in Ukrainian in relation to the depiction of contrasted situations. According to the data in our corpus (more than 300 examples drawn from literary works by major writers from the 19th to the beginning of the 21st centuries, the media, Internet forums, as well as spontaneous productions by native subjects), almost 77 % of examples fall under this type of use. Our approach is intended to be textual : it seems to us that a satisfactory description of the functioning of the Past perfect must be based on the study of a fairly broad context, both left and right. In a situation of contrast between two situations, the Past perfect appears as a semantically non- autonomous form. As such, it is responsible for ensuring a connection between two contrasting situations, SIT1 (represented by the Past perfect) and SIT2 (represented either by a verbal form other than the Past perfect, or by the context).

Le contraste entre deux situations et le plus- que-parfait en ukrainien

Le présent article se propose d’étudier l’emploi du plus-que-parfait en ukrainien en rapport avec la notion de contraste entre deux situations. Selon les données de notre corpus (plus de 300 exemples tirés d’œuvres littéraires des principaux auteurs du XIXe – début du XXIe siècles, des médias, de forums d’internautes, ainsi que de productions spontanées de sujets natifs), presque 77 % des exemples relèvent de ce type d’emploi. Notre approche se veut textuelle : il nous semble qu’une description satisfaisante du fonctionnement du PQP doit être basée sur la prise en compte d’un contexte assez large, aussi bien gauche que droit. Dans une situation de contraste entre deux situations, le PQP apparaît comme une forme sémantiquement non-autonome. À ce titre, il est chargé d’assurer une mise en relation entre deux situations en contraste, SIT1 (représentée par le PQP) et SIT2 (représentée soit par une forme verbale autre que le PQP, soit par le contexte).


Stéphanie CIRAC

Al’fred Bem in Prague: Scientific and Literary Contacts between Russian Scholars in Exile and Czech Slavistics

Russian scholars in exile during the interwar period played an active part in Czechoslovakian Slavistics. The example of Al’fred Bem helps us shed light on the points of contact between Russian scientists in exile and Czech Slavistics, notably in scientific circles such as the Prague Linguistic Circle. Which research topics did emerge from this confluence? Were these topics instrumental in bulding a scientific community? It is interesting to observe how Russian scholars used Czech literature, for example, to feed their research. These references to Czech literature testify of the Russian scholars’ integration but also of the dynamics of scientific and literary circulations and transfers. Jakobson’s interest in Czech poetry and the works he drew from it are well known. The example of Alfred Bem is less famous, but it sheds a singular light on the history of Central European slavistics between the two world wars.

L’exil russe et la slavistique tchécoslovaque. Réceptions scientiques et littéraires dans l’entre-deux-guerres. L’exemple d’Al’fred Bem

Dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, l’émigration scientique russe a participé acti- vement à la slavistique. L’exemple d’Al’fred Bem nous permet d’observer les points de ontacts entre l’exil scientique russe et la slavistique tchèque – les savants et les cercles scientiques notamment, le Cercle linguistique de Prague. Quels thèmes de recherches ressortent de ces rencontres et quelle communauté scien- tique dessinent-ils ? Les savants russes se sont souvent emparé de thèmes littéraires tchèques. On connaît l’intérêt de Jakobson pour la poésie tchèque et les travaux qu’il en a tirés. L’exemple d’Al’fred Bem, moins célèbre, apporte aussi un éclairage singulier sur ces croisements et sur l’histoire de la slavistique centre-européenne de l’entre-deux-guerres. Comment le philologue en exil s’intéresse-t-il à la littérature tchèque ? Quels auteurs choisit-il ? Quels points de vue adopte-t-il ? Sont-ils le signe de son intégration ? À partir, notamment, de ses réflexions sur la Majesté de la nature de Polák et l’analyse de Mukaovský, on peut observer la rencontre entre différents cercles savants et interroger les limites qui les distinguaient.


Florence CORRADO-KAZANSKI

Gender and Lyrical Relation: Some Reec- tions on the Poems of Justyna Bargielska and Maria Stepanova

The article examines the connection between gender as a relational process and the lyric sub- ject in the context of modern poetry, that is the concept of “critical lyricism”, which questions the unity of the subject, in order to assert its plurality. The works used as material are poems by two female poets, one Polish and one Rus- sian, belonging to the same generation: Justyna Bargielska (born 1977) and Maria Stepanova (born 1972). The study of the plurivocity and otherness of the lyric subject in Justyna Bar- gielska’s collection Nudelman (2014), and Maria Stepanova’s poem Spolia (2014), is conducted through the analysis of their enunciation devices. It examines the circulation between feminine and masculine, and from one grammatical person and gender to the other. Finally, the two poems also suggest that the lyrical otherness that constitutes the subject is also the otherness of absence.

Genre et relation lyrique : éléments de réexion à partir de Nudelman de Justyna Bargielska et Spolia de Maria Stepanova

L’article se propose d’articuler la question du genre, en tant que processus relationnel, à celle du sujet lyrique dans le contexte de la poésie moderne, c’est-à-dire d’un « lyrisme critique » qui met précisément en question l’unité du sujet, pour afrmer ses gures plurielles. Les œuvres choisies sont celles de deux femmes poètes, polonaise et russe, appartenant à la même génération, Justyna Bargielska (née en 1977) et Maria Stepanova (née en 1972). Ainsi, l’étude de la plurivocité et de l’altérité du sujet lyrique, dans le recueil Nudelman de Justyna Bargielska (2014), et le poème Spolia de Maria Stepanova (2014), est menée à partir de l’analyse des dispositifs d’énonciation lyrique, en examinant le passage du féminin au masculin, la circulation d’une personne grammaticale et d’un genre grammatical à un autre. Enfin, les deux poèmes montrent également que l’altérité lyrique qui constitue le sujet est aussi l’altérité du manque.


Sandra DOMINIQUE

The Establishment of the Agrégation de russe and the Geopolitics of Foreign-language Teaching in France (1938-1957)

In France, the development of the agrégation – a competitive exam to recruit tenured teachers – is an important step in the establishment of any new academic discipline. In 1938, an agrégation in Slavic languages was rst created to promote the teaching of Russian and Polish. But the agrégation in Russian was effectively introduced only in 1947. If contacts between France and the USSR remained sparse at the time, the new agrégation of Russian proved instrumental in developing them throughout the 1950s. French students preparing for this competitive exam started studying in Moscow, which helped them to improve both their Russian and their knowledge of Soviet culture, as well as to establish relations with the Soviet intelligentsia. While instrumental in developing Russian studies in France, these politics also helped promoting France’s political agenda in Europe.

Les débuts de l’agrégation de russe : enjeux géopolitiques de la création d’une discipline française (1938-1957)

Concours de recrutement des enseignants du secondaire, l’agrégation est une exception française, centrale dans la reconnaissance d’une discipline, pour les enseignements secondaire (recrutement) et supérieur (préparation et re- crutement). C’est pourquoi sa création est un enjeu de taille dans l’institutionnalisation des études slaves françaises. Créée en 1938, l’agré- gation de langues slaves devient agrégation de russe à son ouverture en 1947. La victoire de l’URSS permet le développement des études russes en France, parfois au détriment d’autres langues slaves. Les études russes et ses promoteurs, notamment André Mazon, président de l’Institut d’études slaves, savent alors tirer prot des exigences attendues du concours pour négocier l’envoi d’agrégatifs à Moscou, où ils pourront exercer leur russe, et ce dès les années 1950. Cette immersion permet à la fois d’élever le niveau de la jeune agrégation, mais aussi pour les agrégatifs de créer des ponts entre France et URSS, également utiles aux autorités françaises.


Daniel DROIXHE

Dostoevsky in the Belgian Press (1875-1900)

The discovery of Dostoevsky’s work in Belgium helped discuss social issues such as criminality, prison policy, justice, art history, etc. The vogue for Slavic novels led to a general discussion over the connections between socialism, materialism, nihilism, German-style philosophy and “English-style liberalism”, with references to the works of Moleschott, Büchner, and Schopenhauer, or to the journal Kolokol. The defence of The Insulted and Injured was instrumentalized by Belgian and Dutch socialists as a part of their political activism. “Liberal” newspapers like La Réforme, for instance, used it to point out an ethnic resemblance be- tween Russians and Walloons, who shared a similar history of victimhood. Periodicals intended for a bourgeois readership, such as Le Soir, discussed Dostoevsky too, in order to contrast the oppressive regime prevailing in Russia with the freedom supposedly enjoyed by the people of Belgium. The question of crime, so central to Dostoevsky, helped discuss whether tyrannicide is legitimate, as in the case of an “Italian Raskolnikov”. Finally, discussing Sonia helped the Belgian press reflect on the attitude of polite society towards prostitution.

Dostoïevski dans la presse belge (1875-1900)

La découverte de l’œuvre de Dostoïevski en Belgique est considérée ici dans divers aspects de sa dimension sociale : criminalité, politique carcérale, justice, histoire de l’art, etc. La vogue du roman slave donne lieu à l’évocation des rapports entre socialisme, matérialisme, nihilisme, philosophie à l’allemande et « libéralisme à l’anglaise », en référence à Moleschott, Büchner, Schopenhauer ou au journal Kolokol. La défense d’Humiliés et offensés est illustrée par l’activisme politique de socialistes belges ou hollandais, dans des journaux « libéraux » comme La Réforme, qui signale une correspondance ethnique entre les Russes et les Wal- lons, rapprochés par une histoire victimaire. Mais les périodiques destinés à la bourgeoisie, comme Le Soir, opposent surtout au régime d’oppression qui règne en Russie la liberté dont est censée jouir la population belge. Il arrive aussi que la question du crime conduise à une interrogation sur la légitimité du tyrannicide, à propos du cas d’un « Raskolnikov italien », et que la presse interroge, à propos de Sonia, le regard porté par la bonne société sur la prostitution.


Lilya DYACHENKO-ESCALLE

Aleksei Remizov’s Handwritten Books as Literary and Identity Strategy. An Analysis of “Memory on Fire”

This article examines the production of hand- written books by Russian modernist writer and artist Aleksej Remizov during his emigration to France, from 1923 until his death in 1957. Entirely of his own making – from the text to the binding – these books constitute a landmark in Remizov’s creative activity and very conception of literature. The motif of the handwritten book itself entered Remizov’s imagination in exile and played an important role in the con- struction of his personal myth as a writer with a mystical link to Russia and the Russian lan- guage. In this study, I analyze “Memory on Fire” [Ognennaja pamjat] (1934), one of the most interesting books that Remizov produced during his stay in Paris. A valuable piece of the archives of the Institute of Slavonic Studies in Paris, Remizov’s manuscript contains a short story that tells the history of book trade in Russia since the 15th century, and questions the practice of writing as a key element of identity formation.

La pratique du livre manuscrit comme affirmation d’une identité littéraire russe en émigration chez Aleksej Remizov. Analyse du manuscrit « La Mémoire en feu »

Cet article s’intéresse à la pratique de fabrication de livres manuscrits de l’écrivain et artiste moderniste russe Aleksej Remizov durant son émigration en France, de 1923 jusqu’à sa mort en 1957. Entièrement de sa main – du texte à la reliure, ces livres occupent une place centrale dans l’activité créative et la conception même de la littérature de Remizov. C’est en exil que le motif du manuscrit entre dans l’imaginaire de Remizov et commence à jouer un rôle important pour la construction de son mythe per- sonnel, à savoir celui d’un écrivain ayant un lien mystique avec la Russie et la langue russe. Je m’appuierai, dans cette étude, sur « La Mémoire en feu » (Ognennaja pamjat) (1934), un des livres manuscrits que Remizov a réalisé en France et qui est conservé aux archives de l’Institut d’études slaves. Ce manuscrit est porteur d’un récit qui traite du métier du livre en Russie depuis le XVe siècle. Il revient sur la pratique de l’écriture et l’interroge en tant qu’élément clé d’une construction identitaire.


Livija EKMEČIĆ
Ivo Andri’s Short Stories in the Light of Bibliotherapy and Reception Theory

This study contributes to the study of the con- nections between bibliotherapy and reception theory. It explores the advantages and limita- tions encountered by real readers facing situations similar to the ones depicted in Ivo Andri’s short stories “The Window” (Prozor) and “A Festive Morning” (Praznino jutro). The study investigates several types of identication processes proposed by Jauss in his theory of reception, focusing on those that can be achieved by specic readers.

Bibliothérapie et théorie de la réception : l’exemple d’Ivo Andri

Cette recherche vise à contribuer à l’étude des similitudes entre bibliothérapie et théorie de la réception. À cet effet, nous avons essayé d’examiner les avantages et les limites que pourraient rencontrer des lecteurs qui, dans la vraie vie, se trouveraient dans la même situation ou dans une situation semblable à celle des protagonistes des nouvelles « La vitre » (Prozor) et « Un matin de fête » (Praznino jutro). Nous avons également fait référence à plusieurs types d’identication proposés par Jauss dans sa théorie de la réception, en nous limitant à ceux qui peuvent être atteints par des lecteurs spécifiques.


Sonia GAVORY

Vitez’s Retranslating of And Quiet Flows the Don, and Sholokhov’s Poetics of Heterogeneity

From 1957 to 1964, Antoine Vitez worked on a new translation of Mixail Sholokhov’s novel And Quiet Flows the Don for the Publishing house Julliard. In his translation, Vitez tried to reproduce the formal diversity of the novel, a text made of contradictory discourses about the responsibility of the factions fighting during the Russian civil war. Vitez tried to translate the syntaxic and dialectal peculiarities of the text, as well as to reproduce the lyrical dimen- sion of the work that unfolds in parallel with its historical component. Eventually, this trans- lation effort became a creative process of its own, which Vitez based on a multiplicity of documentary and literary sources, in order to match the poetical heterogeneity of Mikhail Sholokhov’s novel.

La retraduction française du Don paisible : revaloriser l’hétérogénéité poétique du roman

De 1957 à 1964, Antoine Vitez retraduit pour les éditions Julliard le Don paisible de Mixail Šoloxov en cherchant à mettre en valeur sa di- versité formelle. Cette approche entre en réso-nance avec le fond de l’œuvre elle-même, constitué d’une pluralité de discours divergents au sujet de la responsabilité des camps qui s’affrontent pendant la guerre civile russe. Vitez s’efforce de traduire avec précision les particularités syntaxiques et dialectales des langages qui se font face, mais également de restituer la dimension lyrique de l’œuvre qui se déploie en parallèle de ce temps historique. La traduction devient un processus créatif qui s’appuie sur une multiplicité de sources docu- mentaires et littéraires afin de rendre compte de cette hétérogénéité poétique.


Jana KANTORÍKOVÁ

The Western Slavs read Nietzsche

In 1913, while working on the Czech version of Also sprach Zarathustra, Otokar Fischer (1883-1938) realised that translation could be considered as an alternative form of patriotism. This Czech Germanist of Jewish origin was also among the few people who did not reject Friedrich Nietzsche as a vector of Germanic imperialism a few years later. The present article explores the intimate and creative reception of Nietzsche’s work in the Czech lands, focusing on the personal writings of Fischer and his in- tellectual partners: the Bohemist and Germanist Arne Novák (1880-1839) and the poet Otakar Theer (1880-1917). The analysis demonstrates how the communication strategies of these intellectuals and their quest for identity echoed Nietzsche’s texts, and how their reading of the German philosopher evolved, especially in the context of the instrumentalisation of his work during the Great War.

Les Slaves occidentaux lisent Nietzsche

En 1913, alors qu’il travaille à la version tchèque d’Also sprach Zarathustra, Otokar Fischer (1883-1938) réalise qu’il est possible de devenir patriote d’une manière détournée – par la traduction. Ce germaniste tchèque d’origine juive est aussi l’un des rares à ne pas rejeter, quelques années plus tard, Friedrich Nietzsche comme vecteur de l’impérialisme germanique. Le présent article explore la réception intime et créative de l’œuvre de Nietzsche dans les Pays tchèques, en se concentrant sur les écrits personnels de Fischer et de ses inter- locuteurs : le bohémiste et germaniste Arne Novák (1880-1839) et le poète Otakar Theer (1880-1917). Cette analyse montre comment les textes de Nietzsche se reètent dans les stratégies de communication et la quête d’identité de ces intellectuels, et comment leur lecture du philosophe allemand évolue, notamment dans le contexte de l’instrumentalisation de son œuvre durant la Grande Guerre.


Marina PANTINA

Asian Academy vs Catholic Russia: Competing Ideologies and their Sources in Joseph de Maistre’s Correspondence with Count Sergej Uvarov

Joseph de Maistre’s correspondence with Count Sergej Uvarov remained unknown until its publication in Russian in 1937 and still needs to be studied thoroughly to this day. The reason it has been overlooked lies in the absence of a French edition and in the complexity of this set of letters, which relies on numerous historical and philosophical references. This article, which includes Uvarov’s replies, notably the never- published-before answer to Maistre’s first letter, frames the correspondence as a kind of literary laboratory, where Maistre and Uvarov both act as author and literary critic, in order to discuss and revise their works before publication. It also contends that the correspondence served as a source of inspiration for two of Maistre’s later works published in 1815. A critical source for the transfer of European ideas in early nine- teenth-century Russia, this set of letters shows Maistre’s strategies to support a Jesuit-based education project in Russia, and Uvarov’s counter project of Asian Academy. This debate over two competing projects sheds an interesting light on the ideological currents of the reign of Alexander I.

La correspondance de Joseph de Maistre avec le comte Sergej Uvarov : Académie asiatique contre Russie catholique et les sources idéologiques de ce débat

La correspondance de Joseph de Maistre avec le comte Sergej Uvarov est restée inconnue jusqu’à sa publication en russe en 1937. Elle n’est pas encore complètement étudiée jusqu’à aujourd’hui, faute de publication de l’original français et à cause de la complexité du texte en lui-même, due aux nombreuses références historiques et philosophiques des deux correspondants. Cet article vise à présenter également les réponses d’Uvarov, dont la première est encore inédite. Il nous semble important d’attirer l’attention sur cette correspondance comme laboratoire littéraire où Maistre et Uvarov échangent leurs rôles d’auteur et de critique littéraire, en discutant de leurs œuvres avant publication, afin d’effectuer une ultime révision. En outre, cette correspondance servira à Maistre d’inspiration pour deux de ses œuvres parues en 1815. Cet échange reste également une source pour suivre la pénétration des idées européennes dans la société russe du début du XIXe siècle. Ainsi, nous pouvons observer les stratégies de Maistre, défenseur du projet d’éducation jésuite en Russie, qui s’oppose à celui d’une Académie Asiatique d’Uvarov. Cette rivalité rend leur débat intéressant, car elle permet d’observer les courants idéologiques présents sous le règne d’Alexandre Ier.


Ioulia PODOROGA

Between Human and on-Human: Boris Pasternak’s Anthropomorphic World

This paper offers a reading of Boris Pasternak’s poetry based on ecocriticism and the “environmental turn”. The expression of Pasternak’s attitude towards nature cannot be reduced to the use of a simple literary device, such as per- sonication. The poet’s task was not to project his subjective emotions on the world, but to overcome the boundary separating the human from the non-human, while exploring the space of contact where the two merge. To use Bruno Latour’s expression, the human subject, the natural elements, and even the inanimate objects that inhabit Pasternak’s poetic world are not actors but actants, i.e. dynamic forces which inuence each other, create, and transform themselves. Thus, when applied to Pasternak’s poetry, the term anthropomorphic differs from the term anthropomorphism insofar as the lyric subject loses control over reality, while accepting their limitations and dependence on the surrounding world.

Entre humain et non-humain : le monde anthropomorphe de Boris Pasternak

L’article explore la possibilité d’une lecture écologique de la poésie de Boris Pasternak à l’aune des nouvelles mouvances dans la litté- rature et la critique littéraires marquées par le « tournant environnemental ». Le rapport à la nature, propre à Pasternak, ne se réduit pas à un simple procédé littéraire, tel que la person nication. Son objectif n’est pas de projeter des émotions subjectives du poète sur le monde, mais de dépasser la séparation entre l’humain et le non-humain, se rendant attentif à l’espace de contact où les deux fusionnent. Pour employer l’expression de Bruno Latour, le sujet humain, les éléments naturels et même les objets inanimés qui peuplent le monde poétique de Pasternak sont moins des acteurs avérés que des actants, des forces dynamiques qui inuent les unes sur les autres, se créent et se transforment. Ainsi, le terme d’anthropomorphe appliqué à la poésie de Pasternak se distingue de celui d’anthropomorphisme, dans la mesure où le sujet lyrique perd la main sur le réel, tout en acceptant ses propres limites et sa dépendance vis-à-vis du monde environnant.


Irina POLANSKAYA, Pavel USPENSKIJ

“To mix the izhny ovgorod dialect with French”: Language Interference in Dmitry Grigorovich’s Short Story The Village

The article deals with language interferences in D. Grigorovich’s short story The Village (1846). This story was one of the rst realistic works devoted to the representation of the people in Russian literature. It is established that Grigorovich supplied his text with numerous low colloquial elements in order to convincingly depict Russian folk life. However, it is worth noting that French was Grigorovich’s native language, a circumstance which determined the language of The Village to no lesser extent. A close analysis of the text shows that Grigorovich’s use of the Russian language was signicantly inuenced by the French language, an inuence which can be traced on different linguistic levels. The article brings up several examples illustrating this phenomenon of language interference and suggests that the linguistic features of Grigorovich’s story largely determined its subsequent reputation.

« Le mélange des langues, de France et de  Nijé-Novgorod » : quelques cas d’interférence linguistique dans la nouvelle le Village de Dmitrij Grigorovič

L’article se focalise sur la problématique de l’interférence linguistique dans le Village (1846) de D. Grigorovič. La nouvelle est l’une des premières œuvres réalistes de la littérature russe consacrée à la représentation du peuple. Pour montrer l’univers quotidien des villageois, Grigorovič a largement puisé dans le langage populaire. Cela étant dit, l’impact du français qui était sa langue maternelle n’a pas été moins déterminant pour le style de la nouvelle. Une analyse détaillée permet de détecter une inuence considérable du français à tous les niveaux du discours, comme le suggèrent les exemples signicatifs que nous utilisons comme illustration. Ces particularités discursives de la nouvelle sont d’autant plus intéressantes qu’elles ont sensiblement déterminé sa future renommée.


Guilhem POUSSON

Moral Law, Law Without Morals: Gender, Death and the Ethics of Care in Anna Kare- nina

For over a decade, L. N. Tolstoy’s ethical thought has been a popular subject in literary studies. By studying the role played by the Law in the decision-making process of the protago- nists in Anna Karenina, this paper aims to highlight some aspects of Tolstoy’s representation of moral consciousness. Lev Shestov noticed that the position of the subject towards the Law is a major feature in Tolstoj’s character system. I try to expand Shestov’s observation by underlining the opposition between “legalistic” and “illegalistic” characters (those who act without needing the approval of an external norm). I argue that this psychological feature partially overlaps with gender and class distinctions. Additionnally, I argue (against Shestov) that the rejection of the Law by a protagonist does not necessarily mean that the author condemns it. On the contrary, Tolstoy seems to carry out a comparative analysis of both ethical orientations, often favouring “lawless morality”. Finally, I draw parallels between the latter moral paradigm and the notion of care, which provides an ethics free from a sense of lawfulness.

Loi morale, morale sans loi. Genre, mort et éthique du service dans Anna Karénine

La philosophie éthique de L. N. Tolstoj fait l’objet d’une recherche intense depuis un peu plus d’une décennie. Dans cet article, nous nous intéresserons à la représentation de l’in- tériorité dans le roman Anna Karénine, en étudiant un motif récurrent : la référence à la loi. Comme le pressentait Lev Šestov, quoique dans un sens différent, le recours ou la soumission à un opérateur légal lors des processus de délibération apparaît comme un discriminant majeur du système des personnages tolstoïens. Notre propos sera de souligner une partition entre personnages « légalistes » et « illégalistes » (capables d’agir sans rechercher l’approbation d’une norme). Nous verrons que cette partition recoupe partiellement des distinctions de genre et de classe. Nous montrerons – contre Šestov – que le refus de la loi par le personnage n’équivaut pas à une condamnation de celui-ci par l’auteur. Au contraire, Tolstoj met en regard les deux formes d’orientation éthique, dans une comparaison qui tourne souvent à la faveur de la « morale sans loi ». Nous proposerons enn un parallèle entre cette seconde sorte de moralité et le paradigme du care, conçu comme une éthique affranchie de la référence à un sentiment de légalité.


Aleksandar STEFANOVIC

Reflections on The Translation Of Military Terminology from French To Serbian

While translating contemporary military texts, we identied many problems which translators face when translating from French to Serbian. The translation of texts in the military eld is no routine service and requires the intervention of specialists. First, translators are confronted with the lack of French-Serbian and Serbian-French dictionaries or military lexicons. As a result, major problems arise when choosing Serbian equivalents to specic French military concepts, like the names of military structures or weapon systems, as well as ranks or terms specic to military jargon, often designated through acronyms. This study uses specialized texts in order to highlight not only the above- mentioned difculties, but also some cases of inaccurate translation. It also aims at proposing various solutions and encourage translators and researchers to address this thorny, but im- portant question, especially in the context of the integration of Serbia into the European Union.

Réflexions sur la traduction de la terminologie militaire du français vers le serbe

Nombreux sont les problèmes auxquels se heurtent les traducteurs lorsqu’ils traduisent des textes militaires du français vers le serbe. Ils sont en premier lieu confrontés au manque de publications spécialisées solides, plus précisément de dictionnaires et de lexiques militaires dans le sens français-serbe et serbe-français. Les principaux problèmes traductologiques dont il est question se posent lorsqu’il faut choisir des équivalents en standard serbe de certaines notions militaires françaises : appellations des structures et des armements militaires, appellations et/ou grades du personnel ou encore termes propres au jargon militaire se manifestant notamment sous la forme de sigles ou d’acronymes. Afin de mettre en lumière non seulement les difcultés mentionnées mais également les cas de traductions inappropriées proposées dans certaines rares publications, nous nous appuierons sur différents textes spécialisés trai- tant des trois branches des forces armées françaises (armée de terre, marine, armée de l’air).


Olga TARABANOVA-WAMBRE

Linguistic and Enunciative Markers of Iro- nic Negation in Contemporary Russian

The purpose of our study is to dene the linguistic markers of the phenomenon of ironic negation in the Russian language. Highly prevalent in everyday language, this type of irony is used not only to negate another person’s speech, but also to mock the interlocutor by questioning or criticizing what they have just said, for example: Tož mne nevesta našlas! Kak že, pošla ja za nego zamuž ! I analyze several grammatical, pragmatic and prosodic markers (word order, recalculation of personal marks, transposition of verbal tenses, ethical dative, enunciative particles, intonation) that function as a set of clues acting synergistically and thus allowing the statement to be interpreted as ironic. Given the frequency of ironic negation in informal speech and the presence of particular syntactic structures in ironic statements, I suggest that this phenomenon should be studied within the framework of syntactic phraseology, i.e., as phraseological schemes (to use D. Shmelev’s term) at the intersection of lexicon, morphology, and syntax.

Les marqueurs linguistiques et énonciatifs de la négation ironique en russe contemporain

L’objectif de notre recherche est de dénir les marqueurs linguistiques du phénomène de négation ironique en langue russe. Fortement répandue dans la langue orale, la négation ironique s’emploie an de nier ou de remettre en question les propos d’autrui et produit un effet ironique qui renforce davantage cette négation, par exemple : Tož mne nevesta našlas’! Kak že, pošla ja za nego zamuž ! Nous allons analyser quelques marqueurs grammaticaux, pragmatiques et prosodiques (ordre des mots, recalcul des marques personnelles, transposition des temps verbaux, datif éthique, particules énonciatives, intonation) qui fonctionnent comme un ensemble d’indices qui agissent en synergie, permettant d’interpréter l’énoncé comme ironique. Compte tenu de la fréquence des énoncés avec la négation ironique dans le discours informel et de leurs types de construction syntaxiques, nous proposons d’étudier ce phénomène dans le cadre de la phraséologie syntaxique, à savoir en tant que schémas phra- séologiques (terme de D. Šmelev) se trouvant à la frontière du lexique, de la morphologie et de la syntaxe.